Sans instructions

«J'ai toujours voulu être juge. Aussi loin que je m'en souvienne, lors de mes années au collège et au lycée, je savais déjà que je me dirigeais vers ce métier. La justice ne m'est jamais apparue comme un univers hostile et austère , j'ai vécu toute mon enfance entourée de grands commis de l'Etat. La justice était pour moi un garde-fou personnel autant qu'elle peut l'être pour la société.

La décision de devenir juge d'instruction est intervenue à un moment de ma carrière où j'étais le plus en mesure d'assumer l'indépendance qui est attachée à cette fonction. Alors que j'étais installée dans la «galerie financière» du Palais de justice depuis environ deux ans, Eva Joly est venue me solliciter pour instruire avec elle le dossier dit «Elf». Dix ans consacrés à l'instruction de dossiers souvent lourds d'enjeux me permettent d'avoir aujourd'hui un certain recul par rapport à l'institution a laquelle j'appartiens et au fonctionnement de notre démocratie. Traiter ces affaires sensibles repose largement sur l'énergie et les aptitudes du magistrat qui en est chargé. Celui-ci risque même de développer un comportement de nature toxicomaniaque : comment se passer de l'intensité des échanges, de la satisfaction de démonter des mécanismes parfois très sophistiqués , comment se passer d'une relative notoriété, ou d'une certaine reconnaissance ?

A l'heure où je m'engage à ma demande dans de nouvelles fonctions, j'ai choisi par ce livre de répondre de mon parcours. Parce que témoigner est une bonne manière de rentrer dans le rang.»